J’ai effectué mon stage professionnel dans un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes situé dans le Maine et Loire, j’y ai encadré six aides soignantes. Ayant constaté un stress ambiant important chez le personnel, j’ai choisi de faire de la gestion de celui-ci mon objectif de travail.

L’un des axes principaux autour duquel s’est concrétisé cet objectif a été d’encourager l’ancrage dans le présent. En effet, les personnes accompagnées étant sans cesse préoccupés par leurs missions et le jugement qu’on pouvait porter sur celles-ci, elles transportaient leur attention en permanence de « la peur d’avoir mal effectué leur travail » à « l’appréhension des situations futures ». Être présent à l’instant vécu par le biais des sensations corporelles a donc été une partie très importante de mon intervention auprès d’elles. Les séances 2 3 et 4 présentées ci-après ont été très représentatives concernant les progrès de mes patientes. Elles m’ont également mises face à plusieurs « difficultés professionnelles », notamment concernant l’accompagnement des émotions vécues en séance, ce qui m’a fait moi-même beaucoup avancer.

Après avoir effectué une première séance autour de la redécouverte des sensations corporelles au travers d’un regard phénoménologique nouveau, j’ai appuyé l’intentionnalité de ma séance 2 sur l’action positive. En effet, en leur proposant la séance des 5 sens, je voulais insister sur le bien être que l’ont peut tirer des sensations vécues avec toute sa présence, en d’autre terme sur tout le positif qui peut survenir en vivant le plus pleinement possible l’instant présent. Peut être par opposition au « bien-être » souvent construit intellectuellement et basé sur la mécanique « compromettante » du désir.

Si l’ancrage dans le présent était essentiel en vu de l’apprentissage de la gestion du stress, une telle séance visait surtout à les encourager à vivre cette présence positive. Au moment des phénodescriptions c’est une ambiance d’euphorie qui s’est installée. La séance avait de façon générale été en effet vécue très agréablement et les patientes manifestaient un vrai empressement à s’exprimer (certaines voulant rebondir sur ce que disaient les autres…).

Le bien être ambiant a permis à un climat de grande confiance de se propager ce qui a révélé de ce fait une nouvelle qualité d’alliance, mais j’ai dû être vigilant au désir qui montait en moi de « me laisser emporter » par l’euphorie générale ce qui aurait pu me rendre moins disponible et donc moins à l’écoute. Je devais également être vigilant à ce que les phénodescriptions restent des phénodescriptions où chaque patiente pourrait s’exprimer individuellement, librement et sans jugement.

Elles ont en effet eu tendance à vouloir rentrer dans des discussions sur leurs goûts, leurs points communs etc… qui impliquaient inévitablement des jugements de valeurs. Il ma donc fallu repréciser que chacune devait avoir un temps de description individuel. Me placer en temps que professionnel guidant des patientes dans une démarche phénoménologique a donc été ici particulièrement difficile, l’euphorie étant assez « prenante ». J’ai cependant encouragé chaque patiente à exprimer tout le positif ressenti ce qui était lié à mon intentionnalité.

Les émotions sont des vagues, on ne peut les arrêter, mais si on observe leur forme et leur mouvement, on peut apprendre à surfer dessus.

Prendre en compte ma réalité objective « enthousiasmé », pour garder un positionnement professionnel m’a notamment permis de percevoir que la patiente qui avait eu des difficultés à ressentir ses sensations lors de la première séance, avait encore quelques blocages de ce côté là : on en restait à des descriptions comme « j’étais bien », « ce moment était agréable »…

Pour pallier à ces difficultés, j’ai détaillé la séance avec elle, lui demandant ce qu’elle avait pu ressentir dans son corps à chaque étape. Elle a alors décrit des sensations plus fines comme « j’ai senti le froid de l’eau ». Je sens cependant que la sophrologie reste pour elle plus une relaxation pour se sentir bien qu’une découverte de soi par les sensations. C’est ce qui a d’ailleurs été le point à améliorer de ma séance de façon générale.

D’après les phénodescriptions, j’ai senti en effet que le « bien- être global du corps » avait primé sur la précision de l’observation des sensations. Des sensations ont été vécues, mais avec peu de « finesse » d’observation. Certaines phénodescriptions se limitaient à des sentiments globaux tels que « je me sentais bien dans mon corps, c’était agréable, c’était très relaxant… ».

J’ai senti alors qu’il fallait que j’évite de tomber dans l’écueil d’être plus dans de la relaxation que dans de la sophrologie.

Pour pallier à cette difficulté j’ai entrepris dans mes séances 3 et 4 d’effectuer des techniques axées simplement sur l’observation des sensations à savoir une séance de pleine conscience et une séance de Sophro-activation vitale (SAV). Je renforçais dans le même temps l’objectif d’ancrage dans le présent par l’observation phénoménologique des sensations du corps.

La 3ème séance a permis d’opérer un véritable déclic dans la progression phénoménologique de mes patientes. En effet, que la séance ait été vécue agréablement où non, elles sont toutes rentrées dans une logique d’observation sans jugement de la réalité et j’ai pu constater que ces observations devenaient de plus en plus subtiles.

Elles sont ainsi sorties de la représentation d’une sophrologie « relaxation » pour aller vers une démarche d’observation objective de soi.

La séance 4 de SAV a également eu un retentissement tout particulier. Dans un contexte de stress mental où l’on ne vit plus que par « son rôle », « ses objectifs », le « jugement de ses actions passées » etc…, le simple fait de sentir la vie, le mouvement interne, la vitalité de son corps peut conférer à la personne la « sensation d’ ÊTRE ».

Dans ce contexte de préoccupation mentale, on peut perdre la sensation de soi, la présence à soi même. Faire ressentir les flux d’énergie, de chaleur et de sang rend à la personne la sensation d’être ici et maintenant, la sensation d’exister hors de son « rôle à jouer ».

Mon intentionnalité était donc de diriger leur nouveau regard vers ce qui vit, ce qui change, ce qui bouge… Capter le bonheur de se sentir vivre sans que les représentations mentales ne viennent prendre le dessus. Je souhaitais également leur montrer comment activer tout ce potentiel d’énergie, ce potentiel de vie.

Les phénodescriptions ont été de façon générale encore riches de descriptions des ressentis, cette fois-ci la notion de « mouvements internes » « d’énergie » a amené des sensations plus imagées: « Je me sentais lumineuse », « je me sentais pétiller », « je sentais de l’énergie qui me parcourait le bras, qui allait jusqu’au bout de mes doigts et qui me donnait l’impression de sortir de mes doigts », « sentir le mouvement m’a donné la sensation que j’allais tomber ».

Ces sensations étaient donc bien rapportées au corps et elles n’opéraient que très peu de jugement. Les progrès sur l’intégration de la démarche phénoménologique étaient tout à fait notable. Une patiente a cependant vécu la séance de façon différente, elle s’est mise à pleurer pendant la phénodescription, elle m’a expliqué que des pensées tristes étaient apparues pendant la séance. Elle a ajouté que ça l’avait empêché de porter son attention sur les organes et l’énergie. Une fois sa description finie, elle paraissait relativement sereine, je lui ai alors demandé si elle voulait bien nous décrire ses sensations corporelles se rapportant à la tristesse. Je voulais avec précaution l’amener à voir la tristesse non plus intellectuellement en se focalisant sur ce qui l’avait causé, mais corporellement en se centrant sur les sensations de l’émotion. Elle m’a alors décrit un « resserrement dans le ventre » et me dit qu’elle avait « chaud au visage ». C’est encore un progrès très intéressant que j’ai pu relever, elle arrivait ici à observer et à décrire une tristesse intense sans sombrer dans le malaise intellectuel.

Cette atmosphère de non jugement, cet espace bien à elle pour s’exprimer a également renforcé l’alliance générale, une sensation de confiance accrue s’est installée. J’ai senti que la suite des dialogues post-sophroniques s’est effectuée plus librement, les patientes s’exprimaient plus sereinement.

Au cours de ce stage, chaque séance m’a permis de découvrir en pratique des problématiques variées de la profession de sophrologue. Les séances décrites ci-dessus ont été particulièrement formatrices notamment concernant l’importance de faire état d’une disponibilité alliant écoute empathique et observation de sa propre réalité objective. Cette disponibilité permettant ainsi d’accompagner les émotions que la pratique de la sophrologie peut révéler chez les patients. 

Auteur : Jean CALONNE