Chef d’orchestre d’origine roumaine, Sergiu Celibidache (1912-1996) aborde la musique avec un nouveau regard.

Sergiu Celibidache (1912-1996) a publié un seul texte de son vivant : une conférence prononcée en 1985 à Munich, intitulée “Sur la phénoménologie de la musique”, où il a tenté de rassembler l’essentiel de sa pensée. Il est bien entendu restitué ici, avec de nombreux entretiens, rassemblés ici pour la première fois, de manière thématique. La préface est signée de la grande violoniste Ida Haendel. Cet ouvrage contient les textes et entretiens où Sergiu Celibidache se propose d’expliquer ses conceptions musicales. Y est abordé de manière phénoménologique le problème de l’essence de la musique à travers les questions centrales que sont notamment l’espace et le temps musical, le tempo, la transcendance du son, la réduction. A travers ces questions, sont également en jeu des questions philosophiques de fond, telles que le rapport de la vérité et de la beauté, la liberté, la volonté, l’intersubjectivité et finalement l’être humain en général, y compris dans son rapport au divin.

A l’instar de ce que proclame la philosophie non-duelle de l’Inde, la Conscience, qui se confond avec l’Être, est antérieure à l’apparition de tout concept et phénomène. Par conséquent, la reconnaissance de cette Conscience sans objet transcende le phénomène même d’intentionnalité qui appartient encore au monde de la dualité. Et selon ce point de vue, le but de la réduction est de nous « ramener » à cet espace d’accueil conscient qui est Unité au-delà du multiple, du sujet et de l’objet.

Cette liberté de la perception permet au phénomène d’apparaître dans toute sa fraîcheur, et permet à la musique d’émerger, sans attente ni préhension de la pensée dualisante. La tridimensionnalité apparaît alors comme un seul et même mouvement, intuitivement saisie par la présence du nouveau regard révélée par l’acte de dépouillement et de lâcher-prise.

Dans ce Regard où elle apparaît et disparaît, « la musique n’est rien ». Sa perception renforce la conscience qui nous est donné du bienheureux silence d’où elle émerge. Le vécu musical est vivance, éveil à l’espace vide, à l’essence de tous les êtres.

C’est par la musique, témoigne Sergiu Celibidache, que d’une certaine façon, je suis venu au yoga, et non l’inverse. Mais ensuite, lorsque j’ai vu que la musique ne peut pas être un jeu de sensations, que jamais de la vie elle ne saurait être cela, je me suis rendu compte que rien de ce qui est dans la musique ne peut être réalisé par la volonté propre, par l’ego. Et ainsi, la musique est pour moi, lorsque les conditions matérielles brutes me le permettent, une méditation.(…) Le son lui-même est une joie vécue de la libération – il est la résolution d’une impulsion tendue. Par des divisions à l’infini, la corde se libère des impulsions qui viennent de l’homme et retrouve ainsi le repos originel auquel elle a été arrachée.

Pour aller plus loin:
– Sur Youtube: taper « Sergiu Celibidache on his Philosophy of Music ».
– La musique n’est rien. Textes et entretiens pour une phénoménologie de la musique
, textes réunis par Hadrien France-Lanord et Patrick Lang, préface d’Ida Haendel, Arles, France, Éditions Actes Sud, 2012.
– Un licence en philosophie : Samy Rupin, Sergiu Celibidache: la musique n’est rien, Université de Nantes, 2013.
– Une thèse (p.78-92) : POETICS OF SELF : an existential phenomenological investigation of Hindu Advaita, Binita Vinod Mehta, University of Iowa, 2012. La thèse est téléchargeable gratuitement ici : http://ir.uiowa.edu/etd/4874

Auteur : Pierre Bonnasse