Mémoire phénoménologique du Cycle Supérieur rédigé par Aurore Leyme et remis à l'ESSA
En quoi le retour à l’instant présent rendu possible par une attitude phénoménologique peut contribuer à apprécier l’existence ?
SOMMAIRE
- Introduction
- Définition des termes
- Qu’est ce qui peut rendre malheureux ?
- Comment être ici et maintenant avec une attitude phénoménologique et qu’est-ce que cela apporte ?
- Le développement d’un nouveau regard pour accueillir l’existence
- Une posture de sophrologue au quotidien
- Conclusion
- Épilogue
- Sources et remerciements
Introduction
Lorsque je me suis tournée vers la sophrologie, c’était pour une réorientation professionnelle. Apprendre un nouveau métier.
Mais je ne pensais pas que cela changerait ma vie si rapidement bien que c’était au fond ce que je souhaitais. Nous avons pourtant été prévenus dès le premier jour de formation que la méthode allait nous traverser et que nous en sortirions transformés. En effet, l’apprentissage du métier de sophrologue, c’est découvrir une méthode de travail qui devient une philosophie de vie qui nous accompagne au quotidien.
Plusieurs des principes fondamentaux de la sophrologie comme l’écoute active, l’accueil, la bienveillance, l’empathie et le principe d’action positive faisaient déjà partie de ma personnalité. Surtout envers les autres mais pas forcément envers moi-même. La formation théorique m’a donc permise de le conscientiser.
Mais c’est au travers de la pratique des différentes techniques et de leurs répétitions vivantielles que le changement s’est opéré.
Ma façon d’accueillir l’existence a progressivement évolué. Je ne me suis pas aperçue du changement tout de suite. D’autant plus que les premiers temps de la formation ont été difficiles à expérimenter tant la vivance des pratiques était parfois vraiment bouleversante pour moi. C’est donc lors du premier confinement en mars 2020 que j’ai réalisé à quel point la sophrologie avait intégré ma vie et l’avait rendue plus agréable.
Le confinement a été un miroir grossissant de qui nous sommes en profondeur et de l’état de nos relations avec notre entourage et le monde extérieur.
Arnaud Riou (1)
J’étais pourtant en plein deuil, la planète traversait une crise sans précédent, je vivais entièrement seule chez moi et malgré tout cela – ou grâce à tout cela – je me suis découverte une capacité à être heureuse que je ne me soupçonnais pas. Je me suis mise à vivre chaque instant pleinement, en conscience, avec tous mes sens.
Comme si ce confinement me faisait vivre une séance de sophrologie géante : au lieu d’être obligée de m’asseoir au calme et de fermer les yeux pour me connecter à mon monde intérieur, l’isolement dans mon appartement m’a aidé à être centrée naturellement sur moi-même ainsi que sur mon environnement.
C’est au travers du principe du schéma corporel comme réalité vécue que j’ai pris le plus conscience de mon bien-être.
Mais une fois le confinement terminé, comment entretenir cette connexion à soi ? Comment rester dans cet état harmonieux face au tumulte de la vie, face aux interactions avec les gens, face aux projets que l’on veut mener à bien ?
L’impossibilité de se projeter sereinement dans le futur face aux incertitudes actuelles est source d’inquiétudes et d’angoisses pour beaucoup de personnes d’après les témoignages autour de moi. Et pourtant je ne me sentais pas concernée par cette problématique du manque de visibilité dans l’avenir. J’étais profondément agacée de voir que chaque chose qu’on projetait n’arrivait pas, oui, mais, je me sentais plus heureuse que je ne l’avais jamais été.
Je me suis donc demandée : qu’est-ce qui m’y aide le plus ?
C’était le retour dans l’instant présent rendu possible par mon attitude devenue phénoménologique au quotidien. Je tiens à préciser qu’au moment où j’écris ces lignes, je n’ai pas encore pu effectuer mon stage de 2ème année. Aussi il m’est difficile de nourrir et d’illustrer ma réflexion par des exemples concrets de prise en charge de sophronisants.
Je souhaite donc montrer à travers l’écriture de ce mémoire ce que m’a apporté cette formation à la sophrologie phénoménologique dans l’appréciation de mon existence, dans l’exercice de mon métier d’institutrice, et comment cela nourrira ma future pratique professionnelle de sophrologue.
Définition des termes de la problématique
Alors pourquoi parler du « retour » à l’instant présent et non de « l’ancrage » dans l’instant présent ?
J’avais initialement choisi le terme d’ancrage, car c’est la possibilité d’être pleinement dans l’instant présent qui m’apporte joie et sérénité et me connecte à moi.
Quand vous êtes présent, quand votre attention est totalement et intensément dans le présent, vous pouvez sentir l’Être […] avec cet état de sensation de réalisation.
Eckhart Tolle (2)
Mais je n’ai pas encore la capacité d’y rester ancrée en permanence. D’ailleurs, je ne sais pas si cela est réaliste ou souhaitable. Je développerai cette idée plus loin. Ce qui est sûr c’est qu’il faut de l’entraînement. L’ancrage est comme un enracinement profond. Plus les racines sont profondes plus nous sommes stables. Aujourd’hui j’ai conscience des moments où le mental reprend le dessus me faisant perdre le contact avec mes sensations corporelles et mes ressentis immédiats. J’effectue donc un retour à l’instant présent pour essayer d’y être ancrée le plus longtemps possible, avec les capacités du moment.
J’éprouve aussi qu’il va falloir recommencer à chaque instant comme si c’était la première fois, avec obstination et patience.
Pierre Bonnasse (3)
Qu’est ce que j’appelle une « attitude phénoménologique » ?
Par définition, la phénoménologie c’est l’accueil des phénomènes, des événements, sans jugement, sans a priori, sans dualité, ici et maintenant, comme si c’était la première fois.
Lors de chaque séance de sophrologie, quelle que soit la technique, nous sommes invités dans un premier temps à fermer les yeux pour porter notre regard à l’intérieur de nous, prendre conscience de nos ressentis corporels et se connecter à soi. Même si au début cela peut paraître difficile, à force de pratiquer, nous devenons plus réceptifs à ce que nous ressentons physiquement.
Nous entraînons ainsi notre regard à se porter sur des choses inhabituelles comme une tension entre nos deux sourcils, des fourmillements dans le corps en s’asseyant après être resté un moment debout… Nous sommes guidés par le terpnos logos du sophrologue qui nous invite à « accueillir toutes ces sensations sans jugement, sans a priori, telles qu’elles se présentent, là ici et maintenant ».
Et sans s’en rendre compte, nous allons transposer cet exercice à ce qui nous entoure dans la vie. Nous devenons alors plus attentifs à ce que nous ressentons chaque jour, nous sommes plus à l’écoute de soi, de ce que notre corps nous dit, nous avons plus de bienveillance à notre égard et nous profitons mieux du quotidien car nous ne sommes plus dans le jugement permanent et l’opposition positif/négatif mais dans l’accueil inconditionnel des phénomènes et des événements vécus.
C’est en tout cas ce qui s’est passé pour moi. Je ne me suis pas rendue compte de mon évolution profonde jusqu’à ce premier confinement qui m’a fait prendre conscience que cette attitude phénoménologique pratiquée lors des séances, que ce soit en tant que sophronisante ou en tant que future sophrologue lors du recueil des anamnèses et des phénodescriptions, était devenue une philosophie de vie.
Toute la démarche inhérente à l’attitude phénoménologique semble essentiellement se résumer en […]un nouveau regard non-duel que je sens peu à peu se révéler être un véritable art de vivre, une voie d’éveil, une école de sagesse en soi, une philosophie vécue, une disposition bienveillante du corps, de l’esprit et plus globalement de la conscience face à l’existence, face à moi-même et à l’univers tout entier qui semble alors s’éclairer.
Pierre Bonnasse (3)
Pourquoi dis-je que le retour à l’instant présent « peut contribuer » à apprécier l’existence, et non pas « contribue » à apprécier l’existence ?
J’ai choisi cette nuance car j’ai pensé aux situations extrêmes de tortures, de guerres ou d’agressions durant lesquelles justement pour survivre le cerveau se dissocie du corps.
Nous ne pouvons clairement pas être ancrés dans l’instant présent dans ces moments-là par nos sensations corporelles.
Nous sommes certes pleinement dans l’instant présent, de façon automatique, pour survivre, mais nous ne profitons pas en pleine conscience de ce que l’on vit. Et quelle formidable capacité a l’être humain de pouvoir faire cela pour se protéger. J’ai lu plusieurs témoignages de personnes revenues de camps de concentration.
Toutes ont expliqué que ce qui les avaient aidé à tenir dans ces conditions extrêmes de souffrances physiques et morales étaient la projection dans le futur, tenir pour pouvoir témoigner. Ou bien elles s’accrochaient aux bons souvenirs qu’elles avaient dans le passé dans l’espoir de les revivre. Raphaël Esrail (4), l’un des derniers survivants d’Auschwitz que mes élèves ont pu interviewer en classe, raconte qu’il a rencontré une jeune femme dans le camp de Drancy. Il en tombe amoureux et c’est l’espoir de la retrouver après la déportation qui l’aide à garder le moral.
Il écrit « Je me réfugie dans la pensée de Liliane. Je me place volontairement dans un état de « non-présence » […] dans ma bulle ».
Mais au moment le plus critique où il est sur le point de mourir, entouré d’autres morts, il partage « Ma colère est absolue : à cet instant, je veux survivre plus que jamais pour dire au monde ce que les hommes sont capables de faire à d’autres hommes ».
Raphaël et Liliane se retrouveront après la guerre et se marieront. « Le rêve éveillé qui m’a permis de tenir jour après jour, cette automédication, devient réalité ».
Il est intéressant de voir que dans cette situation extrême de souffrance, l’esprit, les pensées dirigées vers ce qui nous réconforte et nous maintient en vie, deviennent une nourriture du corps. Viktor E. Frankl (5) a témoigné du même mécanisme lors de son passage dans les camps de concentration. Il a constaté que ce sont uniquement les gens qui avaient la capacité de porter leur attention sur l’espoir de survivre, sur des pensées positives, qui avaient un but, qui restaient en vie.
Celui qui a un « pourquoi » qui lui tient lieu de but, de finalité, peut vivre avec n’importe quel « comment » ?
Nietzsche
Il explique toutefois que « le prisonnier a tendance à se pencher sur le passé afin de mieux supporter le présent horrible auquel il est voué » mais à force « la vie, pour eux, avait perdu son sens ».
C’est plutôt la projection dans le futur qui aidait le plus. « L’une des caractéristiques de l’homme est qu’il ne peut vivre sans penser à l’avenir – sub specie aeternitatis. Et c’est bien cela qui le sauve dans les moments les plus difficiles […]. Le prisonnier qui ne croyait plus à l’avenir – son avenir – était perdu. En perdant cette foi, il perdait sa spiritualité ; il se laissait dépérir moralement ou physiquement». Viktor E. Frankl va même plus loin en rappelant la corrélation entre l’état d’esprit d’un être humain et son système immunitaire : « être privé d’espoir peut avoir sur lui un effet dévastateur ou même mortel ».
Au moment où j’écris ces lignes, nous sommes de nouveau confinés. Contrairement au premier confinement durant lequel j’étais célibataire et je n’avais à me préoccuper que de moi, je suis actuellement en couple. De ce fait, j’expérimente que l’incertitude de cette relation, et donc de mon avenir, me met dans une insécurité et un inconfort désagréable.
Il m’a fallut couper le flot incessant de mes pensées, de mes échanges par téléphone, revenir à ma respiration, à mon corps et à mes projets qui me tiennent à cœur tels que rédiger ce mémoire pour me ré-ancrer dans l’instant, être pleinement présente à moi-même, dans l’écriture, et découvrir qu’il vient de s’écouler trois heures sans que je m’en rende compte. Quel bonheur… pour moi en tout cas.
Le bonheur est un état de satisfaction complète, stable et durable.
Cependant la manière d’y parvenir est différente pour chacun. C’est pourquoi j’ai choisi dans ma problématique de montrer ce que le retour à l’instant présent apporte dans « l’appréciation de l’existence » et non en quoi il « contribue au bonheur », car il contribue à mon propre bonheur, à la vision que j’en ai, mais cela ne correspond sans doute pas à tout le monde. « Apprécier l’existence » est beaucoup plus vaste, plus englobant dans sa tridimensionnalité, quel que soit le vécu, ce que nous vivons, et ce que nous aurons à vivre, avec une notion d’entièreté, dans la durée, tandis que le bonheur peut être vu comme un résultat à atteindre et à entretenir.
Alors que veut dire « apprécier » dans ce contexte ? C’est estimer de façon positive, porter un jugement favorable, reconnaître du mérite, de la valeur, des qualités, de l’importance, trouver agréable, aimer. C’est aussi percevoir par les sens ce qui est très sophrologique. Ce terme est donc bien plus riche de nuances que le verbe aimer qui en français s’applique aussi bien pour le caramel que pour nos proches et a un côté très manichéen : on aime ou on déteste, ou l’on peut être aussi indifférent.
Que mettre derrière le terme d’« existence » ?
Ce mot « s’adresse en particulier à une vie humaine, parce que l’homme seul existe du fait d’avoir les moyens de prendre conscience de son existence et de poser par et pour lui-même la question de son sens. » (6)
Sans rentrer dans les considérations philosophiques autour de cette notion, ce n’est pas le sujet de ce mémoire, j’ai choisi le terme « d’existence » et non pas celui de « vie » car la vie implique pour moi une définition biologique : tout être vivant capable de naître, grandir, se reproduire et mourir.
L’existence inclut la notion de vie, mais en conscience propre à l’être humain, la notion de tridimensionnalité, des valeurs propres à chaque individu et une incarnation dans un corps rendant possible cette expérience par les sens. La sophrologie étant une méthode à visée existentielle ce mot est donc plus approprié.
Qu’est-ce qui peut rendre malheureux ?
Sans faire de liste exhaustive, je pense qu’il est intéressant de présenter des situations, des façons d’être, de penser, d’agir qui peuvent rendre les gens malheureux de façon récurrente, voire permanente, afin de mieux percevoir par la suite ce que le retour à l’instant présent et l’attitude phénoménologique peuvent apporter.
Je fais ainsi la distinction entre un malheur, un drame ponctuel comme une agression, un deuil, un incendie… et se sentir malheureux au quotidien.
Qu’est ce qui peut nourrir ce sentiment d’être malheureux ?
Avoir nos pensées tournées vers des moments qui n’existent plus ou qui n’existent pas peut impacter notre moral selon le regard que nous y portons et le temps que nous passons à y diriger notre attention. Être dans une conscience ordinaire ou dans l’attitude qu’Edmond Husserl qualifiait de « naturelle » :
- Ressasser le passé, surtout s’il est douloureux,
- Se projeter dans l’avenir en imaginant des scénarios catastrophes,
- L’incapacité à se projeter dans le futur au point d’en être angoissé, triste, déprimé…
- Se remémorer de bons souvenirs et en être nostalgique car ils n’existent plus,
- Rêver à un nouveau projet avec l’envie qu’il se réalise mais la peur d’échouer.
Sans compter que je suis habité sans cesse par des souvenirs ou des projets qui me distraient de moi- même dans l’instant présent et font que je ne coïncide pas avec moi ici et maintenant.
Pierre Bonnasse (3)
Les émotions et sentiments considérés comme négatifs liés aux événements vécus dans le passé, qui sont comme cristallisés à l’intérieur de nous, que nous transportons parfois même de façon inconsciente, laissant une douleur lancinante en toile de fond, peuvent nous polluer au quotidien. Ils peuvent être réactivés en y repensant volontairement ou refaire surface par une expérience qui, faisant écho, ravivent des souvenirs douloureux que nous avions oubliés, venant ajouter de la souffrance au moment présent.
Porter un regard négatif sur ce que nous vivons dans l’instant.
Ne pas écouter nos ressentis, nos sensations, ce que nous dit notre corps jusqu’à ce que nous développions une grave maladie, que nous soyons en burn out ou en dépression.
Comment être ici et maintenant avec une attitude phénoménologique et qu’est-ce que cela apporte ?
Faire la démarche de prendre un rendez-vous chez un(e) sophrologue et l’honorer, c’est déjà s’accorder un moment à soi, pour soi. Pendant 1h ou 1h30 nous mettons un stop à toutes nos obligations. Par la pratique de n’importe quelle technique, nous nous ancrons dans le moment présent en concentrant notre attention sur notre respiration, sur nos sensations corporelles et sur notre monde intérieur.
Parfois il est plus difficile de stopper le flot incessant de pensées qui nous traversent, de prendre de la distance avec les émotions qui nous perturbent. Mais lorsque j’expliquais cela dans mes phénodescriptions, ma sophrologue me disait de « me féliciter pour ce temps que je m’étais accordé ».
Cette petite phrase m’apportait un grand réconfort et m’entraînait à porter un regard positif sur la séance vécue.
Cette pratique régulière hebdomadaire ancre un nouveau mode de fonctionnement et de penser dans notre vie de tous les jours. Nous nous mettons progressivement à transposer les exercices pratiqués en séance dans notre quotidien et cela devient même une façon d’être : c’est l’émergence de notre Moi présentiel.
J’ai mis quelques semaines lors du premier confinement à réaliser que j’effectuais naturellement cette transposition dans chacun de mes actes tels que cuisiner, lire, écrire, faire une séance de yoga à distance…
Lorsque je sortais, étant seule dans les rues désertes, je marchais en conscience en profitant du soleil sur mon visage, du ciel bleu, je passais volontairement par une rue dans laquelle il y avait une glycine magnifique pour en sentir le parfum. Je la prenais en photo et la partageais avec celles et ceux qui ne pouvaient pas en profiter.
Ma conscience s’était ainsi élargie, me faisant passer d’une conscience ordinaire à une conscience phénoménologique.
Je me rappelle m’être dit qu’il faudrait que je garde cette habitude après le confinement, même si le rythme de la vie redeviendrait plus rapide. Et c’est ce que je fais dès que cela m’est possible.
C’est donc en concentrant notre attention par les ressentis de nos cinq sens, par l’accueil de toutes nos vivances, que nous nous ancrons dans l’instant présent et que nous en profitons de façon plus intense car nous le vivons en conscience.
Écoutez vos guides intérieurs du corps plus que votre mental qui analyse le passé et le futur. Le corps est toujours dans l’instant présent : il ne peut pas être ailleurs que dans l’ici et maintenant. C’est physiquement, biologiquement, énergétiquement impossible. Ce qui voyage, c’est l’information des ressentis du corps et chaque fois qu’on va aller au plus près de ses vibrations intérieures, on aura de plus en plus accès aux informations de nos besoins dans l’instant présent.
Pierre Lapoujade (7)
Une autre pratique très importante qui aide à couper le mental, réduire le stress et revenir au moment présent est la respiration en cohérence cardiaque. En état d’anxiété, de stress, de mal-être, le cœur bat plus vite qu’en état harmonieux.
En prenant le temps de se poser et de respirer à un rythme régulier avec une moyenne de 6 respirations complètes par minute pendant au moins 3 minutes, le cœur ralentit ses battements et envoie à notre cerveau l’information que nous ne sommes pas en danger.
Le cerveau produit en moyenne 6 000 pensées par jour.
Pendant que nous respirons en respectant le rythme qui nous est imposé par l’exercice, assis, les mains sur les cuisses, en inspirant par le nez et en expirant par la bouche, nous diminuons notre nombre de pensées.
En faisant cela 5 minutes 3 fois par jour nous réduisons le nombre total de pensées sur une journée. Cela diminue le taux de cortisol (hormone du stress), renforce le système immunitaire (qui est amoindri par le cortisol, justement), augmente le taux de DHEA (hormone protectrice du cerveau et qui ralentit la vieillesse), augmente la concentration, le bien- être, etc.
J’ai été amenée à l’utiliser 5 minutes 3 fois par jour sur les conseils de ma sophrologue car je ne voulais pas aller voir le médecin pour me faire arrêter ou prendre des antidépresseurs alors que j’étais au bord du burn out. J’étais au pied du mur. Je devais être rigoureuse si je voulais aller mieux sans la médecine traditionnelle. Aussi j’ai suivi ses conseils durant plusieurs semaines.
Et en effet, j’ai remonté la pente petit à petit sans aucun médicament et sans arrêt maladie. J’ai tellement été convaincue par les bienfaits de cette pratique, l’ayant pleinement expérimentée, que je l’ai intégrée à heures fixes, deux ou trois fois par jour selon la durée des journées, dans l’emploi du temps dans ma classe de CM2.
Je pouvais le proposer aussi de façon ponctuelle si besoin. Je demandais à mes élèves comment ils se sentaient avant l’exercice pour en adapter la durée et le rythme selon qu’ils avaient besoin d’être relaxés, dynamisés, ou équilibrés, et après l’exercice pour qu’ils mettent des mots sur leurs ressentis et l’expérience vécue : micros anamnèses et phénodescriptions collectives pratiquées ainsi quotidiennement avec mes élèves.
J’ai remarqué alors moins de bavardages et une meilleure concentration pour chacun d’entre eux jour après jour. Cet outil a été très apprécié par les parents et les enfants durant le confinement. J’avais demandé aux élèves de rédiger le mode d’emploi de l’application Respi Relax afin qu’ils l’expliquent à leurs parents, puis je l’avais inscrit dans le planning quotidien du travail à faire que j’envoyais par mail.
J’invitais bien sûr les parents à prendre le temps de faire cet exercice avec leurs enfants pour s’accorder une pause plus que nécessaire dans cette période de crise. Il n’y a eu que des retours positifs et des remerciements. Certains parents se sont même appropriés cet outil dans leur quotidien.
L’attitude phénoménologique est un outil précieux quand un moment difficile survient et ravive des émotions, jugées négatives et douloureuses, du passé.
Durant la formation, et avec ma sophrologue dans son cabinet, j’ai vécu différentes situations qui ont contribué à élaborer cette attitude phénoménologique :
- Recentrer mon attention sur ma respiration, sur le chemin de l’air parcouru dans mon corps et les sensations procurées. Nous apaisons instantanément le mental et les sensations corporelles jugées inconfortables comme la gorge nouée, des palpitations, le ventre contracté… mais cela peut ne pas être suffisant et difficile à faire surtout si nous pleurons à gros sanglots par exemple.
- Apprendre en formation que l’attitude consolatrice vis-à-vis de quelqu’un qui pleure ou ne se sent pas bien n’est pas la bonne solution pour l’aider à aller mieux. Il peut paraître inconfortable d’avoir une personne qui pleure en face de nous et le premier réflexe serait d’essayer de la consoler. Nous pensons bien faire en agissant ainsi mais malheureusement, d’une part, nous l’empêchons d’évacuer à la mesure de ses besoins en tentant de réduire la durée des pleurs, et d’autre part nous mettons la personne mal à l’aise car elle sent notre incapacité à accueillir son émotion du moment et se retrouve gênée d’être dans cet état face à quelqu’un. Par la suite, elle n’osera plus extérioriser devant nous, essaiera de sauver les apparences jusqu’à ne plus savoir vers qui se tourner. Cette attitude consolatrice que nous connaissons depuis notre plus tendre enfance avec le « mais non c’est rien », « c’est tout, c’est tout », « faut pas pleurer pour si peu »…. nous a ainsi conditionné à refouler, nier, atténuer, cacher nos émotions considérées comme négatives en public et en privé. C’est alors qu’un mal-être peut s’installer pouvant aller jusqu’à une souffrance telle que nous en venions à penser au suicide pour que la douleur s’arrête. Lors de ma formation sur la prévention du suicide à la maison ressource Force de vivre, c’est l’une des premières clés que j’ai apprise, que tout le monde devrait connaître, comme les gestes de premiers secours: si quelqu’un ne va pas bien, lui demander comment il va, lui montrer que nous n’avons pas peur d’entendre la réponse et que nous sommes prêts à l’accueillir tel qu’il est dans l’instant présent. Il est terrible de découvrir que quelqu’un s’est suicidé alors que nous ne savions même pas qu’il allait mal. Nous n’aurions pas forcément pu l’aider pour autant, mais au moins nous pouvions être présents à ses côtés.
Durant la formation à l’ESSA, j’ai eu l’occasion d’accueillir lors d’une phénodescription les pleurs d’une de mes pairs.
Je n’ai rien dit, je l’ai laissé vivre ce qui se passait en elle avec toute ma présence et ma bienveillance dans mon silence. Et en effet, les larmes n’ont pas duré longtemps. Nous avons ainsi chacune vécu pleinement l’instant présent, elle dans ses émotions, moi dans ma présence à ses cotés.
Je me suis moi-même retrouvée à craquer en séance avec ma sophrologue.
J’en étais gênée et je voulais que mes larmes s’arrêtent. Mais entendre ces phrases positives et phénoménologiques de ma sophrologue me disant « C’est ok, prenez le temps d’accueillir ce que vous vivez, ce qui se passe en vous » et finir la séance par cette parole magnifique « Merci de votre confiance », me réconfortaient et renforçaient une image positive et bienveillante de ma personne. J’en suis encore émue de gratitude aussi bien envers ma sophrologue qu’envers moi en l’écrivant.
Et si montrer nos émotions était en réalité un cadeau que nous nous accordions et que nous faisions aussi à la personne avec qui nous les partageons ?
- Accueillir tous les ressentis tant physiques qu’émotionnels sans les juger et sans culpabiliser de les vivre. Se laisser pleinement submerger par l’émotion et/ou les expressions physiques qui l’accompagnent sans chercher à les retenir permet une évacuation plus rapide car nous ne luttons pas pour les repousser. Nous retrouvons ainsi notre sérénité plus rapidement. Jean Le Cam, lors de son dernier Vendée Globe, a d’ailleurs témoigné à son retour en conférence de presse que pleurer tout ce qu’il pouvait quand ça n’allait pas l’avait aidé à tenir dans les moments les plus critiques. Il s’émerveillait même à quel point « l’être humain est vachement bien foutu d’avoir cette faculté de pleurer. C’est pas pour rien qu’elle doit exister ». Voir ce grand navigateur, ainsi que beaucoup d’autres, exprimer en public leurs failles émotionnelles comme étant salvatrices pour leur réussite est un bel exemple d’attitude phénoménologique. Surtout pour des hommes qui ne sont pas censés pleurer, et encore moins le divulguer. Yannick Bestaven, le vainqueur de ce dernier Vendée Globe, a expliqué qu’il avait privilégié les cours de préparation mentale au lieu d’acheter une autre voile plus performante.
Alors avec tous ces exemples, si j’ai la capacité d’accueillir les larmes d’un ami ou d’un sophronisant, ou si ma sophrologue ou mes amis réceptionnent mes larmes, pourquoi ne pas m’accueillir moi-même avec autant de bienveillance ?
On est souvent beaucoup plus dur avec soi qu’envers les autres. J’ai mis du temps à bien vivre les pratiques des séances en formation car je percevais systématiquement de fortes palpitations cardiaques, ou bien je m’endormais, quand je ne finissais pas en larmes. Je culpabilisais avec une sensation d’échec, d’être passée à coté de l’exercice, surtout quand j’entendais les phénodescriptions du groupe.
Je ne perds jamais. Soit j’apprends, soit je gagne.
Nelson Mandela
Cette phrase a beau être affichée dans ma classe, j’avais du mal à l’incarner pleinement.
Aujourd’hui, quand je lis mes phénodescriptions de 3ème année, je suis heureuse de voir que je ne me flagelle plus, que je m’accueille telle que je suis avec mes possibles du moment dans l’instant présent.
Je reconnais ma fatigue, mes douleurs physiques qui s’éveillent lors d’une pratique, je me dis que mon corps me parle et j’y amène mon souffle pour le soulager aux endroits nécessaires, et je ne m’en veux plus de ne pas me trouver au même niveau que les autres. Je prends d’ailleurs conscience que là encore je suis dans mon propre jugement car l’attitude phénoménologique est en cours d’acquisition. Je suis sur mon chemin, à mon rythme.
Lorsque l’envie de pleurer arrive, je me laisse aller. J’écoute les sensations dans mon corps. Je lui demande ce qu’il veut me dire. Récemment j’étais angoissée sans trop savoir pourquoi. Je me suis posée, j’ai reconnu le fait que j’étais inquiète par la situation incertaine de mon couple, j’ai senti ma gorge se nouer, mon cœur battre plus vite. Je sais que cette relation peut potentiellement se terminer.
Le tranquillisant naturel pour tout être humain, c’est l’attachement.
Boris Cyrulnik
Je me suis autorisée à contacter la tristesse que cette réalité me faisait ressentir et j’ai enfin pleuré. J’étais triste et en même temps soulagée d’oser reconnaître cette émotion qui me faisait peur et que je tentais d’éviter. L’angoisse s’est alors dissipée, je me suis sentie comme en convalescence durant quelques heures, et j’ai pu reprendre le cours de mes activités en pleine possession de mes moyens.
Ce genre de situation, avant de suivre la formation en sophrologie phénoménologique, pouvait durer plusieurs semaines.
Mes pleurs pouvaient persister pendant des heures.
Aujourd’hui, en quelques dizaines de minutes, je parcours le chemin de la « découverte, conquête, transformation » de mon état du moment. Je deviens plus à l’écoute de moi, de ce que mon corps me dit, avec plus de bienveillance envers moi-même et je profite mieux de mon existence au quotidien, quelle que soit la situation à vivre.
Le développement d’un nouveau regard pour accueillir l’existence
Les pratiques de prétérisations permettent de revisiter notre passé.
Mes souvenirs […] sont vécus dans le présent avec toute ma présence, toute celle qu’il m’est donné d’être et d’incarner avec et dans mon corps.
Pierre Bonnasse (3)
Elles peuvent être difficiles à vivre au début car nous pouvons nous identifier à ce que nous avons ressenti à l’époque et raviver les émotions vécues. Mais à force d’entraînements nous apprenons à faire un pas de côté, à réaliser que le passé appartient au passé, qu’il n’existe plus, que nous sommes ici et maintenant et que c’est de notre place actuelle au présent que nous revisitons nos souvenirs.
La souffrance cesse d’être souffrance sitôt que l’on s’en forme une représentation nette et précise.
Spinoza
Nous découvrons ce que notre vécu nous a apporté et nous prenons conscience qu’il a fait de nous ce que nous sommes aujourd’hui.
La souffrance cesse de faire mal au moment où elle prend sens.
Viktor E. Frankl (5)
Nous établissons donc des liens, des corrélations grâce au processus de réduction et une nouvelle relation noético-noématique émerge entre notre passé et notre Être.
Pour Caycedo, la sophrologie constitue le tremplin d’ouverture à l’être. […] Elle est un moyen susceptible de « faire apparaître » ce qui ne se révèle qu’implicitement dans toute existence : l’authenticité de l’être. (6)
Nous ne sommes plus les victimes de moments douloureux, nous devenons des êtres résilients en conscience et nous nous sentons apaisés et nourris par notre nouveau regard.
L’être humain ne fait pas qu’exister, mais il façonne lui-même sa vie à chaque moment.
Viktor E. Frankl (5)
Nous transcendons notre passé. Comme dans l’art du kintsugi, nous mettons de l’or dans nos fêlures du passé. Et chaque fois que nous pratiquons la prétérisation, « comme si c’était la première fois » pour y apporter un nouveau regard, de nouvelles prises de conscience peuvent émerger, ou pas, et continuer d’alimenter notre évolution.
Et le nouveau regard porté consciemment sur mon passé positif […] ne fait que renforcer l’ancrage dans le présent de la conscience, dans la conscience et la mémoire du corps, en dynamisant les structures profondes de mon bien-être.
Pierre Bonnasse (3)
Au travers et grâce à tous ces exercices cités jusqu’à présent, une nouvelle façon de vivre au quotidien a émergé pour moi. Mes ressentis corporels et émotionnels vécus sont conscientisés. J’arrive à faire un pas de coté face aux événements, à prendre du recul pour faire évoluer mon regard qui peut être négatif dans un premier temps.
J’accueille ainsi mieux tout ce qui se présente et je profite plus agréablement de l’existence.
Je porte un nouveau regard sur tout ce qui m’entoure comme si c’était la première fois car c’est unique à chaque instant, selon tellement de paramètres : notre état, les gens avec qui on le partage, la saison… Mes capacités sont renforcées par le principe de répétition. Les nombreuses décisions du gouvernement m’ont d’ailleurs fourni un entraînement de taille !
L’ancrage dans l’instant présent a été mis à rude épreuve. Il m’a été facile de ne pas me projeter lors du premier confinement, sur quelques mois. Mais sur un an, des événements tels que les anniversaires, Noël, les vacances, voir mon neveu grandir, sa première chasse aux œufs de Pâques, profiter de ma mère qui vieillit… sont des envies et des projets que je souhaite voir se réaliser et qui demandent un minimum d’organisation.
J’ai donc réalisé que mon retour à l’instant présent est plus facile quand il ne dépend d’aucun élément extérieur et qu’il ne me garantit pas l’appréciation de mon existence dans son entièreté.
J’ai appris à accepter qu’il pouvait y avoir des rechutes dans mon mal-être tout en découvrant qu’elles duraient de moins en moins longtemps et que je remontais de plus en plus vite la pente. Parfois j’oublie d’utiliser tous les outils qui sont à ma disposition pour retourner dans l’instant présent et le savourer mais je me rappelle alors que ces outils font partie de moi et que je ne suis donc pas retournée à la case départ.
L’impermanence de mon état harmonieux est mieux accueillie, mieux acceptée, et donc mieux vécue. Alors au final, ce n’est pas le retour à l’instant présent qui me permet d’apprécier la totalité de mon existence, même si c’est un outil précieux à conserver qui décuple le plaisir, « le cercle vertueux du vivant intensément vécu. » – Pierre Bonnasse (3), mais plutôt ma capacité de faire l’épochè afin d’apporter un nouveau regard pour accueillir tout ce qui se présente. L’attitude phénoménologique demande d’accueillir sans jugement et dans l’équanimité.
Cela n’est pas possible de prime abord pour moi aujourd’hui. J’effectue le processus de réduction à chaque fois que j’en ressens la nécessité même si pour l’instant c’est dans le but de faire évoluer ce que je perçois comme négatif pour du positif. Je n’arrive pas à être dans la neutralité.
Toutefois, le fait que je prenne conscience de mes jugements négatifs, que j’effectue le pas de côté, pour ensuite y porter un nouveau regard positif et constructif, est ce qui me convient mieux et c’est déjà formidable.
Une posture de sophrologue au quotidien
« Accueillir tout ce qui se présente, là ici et maintenant, avec bienveillance, sans jugement, sans a priori, comme si c’était la première fois » est donc devenu pour moi une philosophie de vie. C’est un idéal à atteindre pour apprécier l’existence dans son entièreté. Je n’arrive pas à rester en permanence dans cet état d’accueil. Mais dès que je me sens moins bien, je m’écoute, je fais ce pas de coté, j’apporte un nouveau regard et je m’adapte, plus ou moins rapidement selon les moments. Cela a profondément modifié ma façon de travailler avec mes élèves.
Quand j’ai commencé à être enseignante, j’étais obnubilée par le programme. Il fallait que les élèves aient tout vu, qu’ils se soient entraînés chaque jour au calcul, à la dictée, à la copie… et je maintenais un rythme effréné d’enchaînement des activités. Aujourd’hui je nous écoute. Aussi bien eux que moi. Si je suis fatiguée, eux le sont certainement aussi.
Dans ce cas je reporte l’apprentissage de la nouvelle leçon à un autre jour. J’adapte l’emploi du temps de la journée pour favoriser le bien-être de tous. Si je vois qu’il y a des tensions dans la classe, des disputes, je prends le temps de les résoudre, pas uniquement en leur demandant de les laisser à la porte de la classe, mais en leur faisant mettre des mots sur leurs vécus et leurs émotions et en les invitant à se mettre à la place du camarade. Je n’ai jamais autant créé et improvisé de nouvelles séances expérimentales que cette année car j’ai été confrontée à des enfants post-confinement qui étaient devenus totalement égocentriques, incapables d’entendre ce que le copain ou la copine disait et qui n’avaient donc pas une posture d’élève.
L’une des expériences que j’ai réalisée a été de leur demander de fermer les yeux, d’écouter une phrase que je leur disais individuellement en chuchotant dans l’oreille puis de noter ce qu’ils ont ressenti en l’entendant. Je leur ai d’abord chuchoté à tous « Tu es une pourriture ». Une fois leurs émotions et sensations écrites, je leur ai chuchoté « Tu es extraordinaire ». Certains n’ont pas pu s’empêcher de répondre « merci » instantanément. Ceux qui le souhaitaient ont lu à la classe ce qu’ils ont ressenti.
Un peu comme à l’ESSA avec nos partages de phénodescriptions.
Certains ont même réussi à dire qu’ils avaient ressenti l’envie de se venger et de se battre physiquement. Pouvoir le connaître et le verbaliser était formidable d’autant plus pour l’un des élèves qui a des troubles du comportement. Une élève a été très touchée en nous disant que personne ne lui avait déjà dit qu’elle est extraordinaire. J’ai donc par cet exercice tenté de faire prendre conscience aux enfants du mal qu’ils pouvaient faire rien qu’avec des mots et que c’est pour cela que parfois, même après s’être excusé, il peut falloir du temps pour digérer et accepter les excuses.
Je leur ai bien sûr précisé que la première phrase était fausse, alors que la seconde est vraie pour chacun d’entre eux car ils sont uniques avec des qualités et des défauts qui les rendent hors du commun. J’en ai profité également pour leur dire que tous ceux qui n’avaient pas pu s’empêcher de dire merci avaient exprimé ce qu’on appelle la gratitude.
Une nouvelle habitude que j’ai depuis cette année, c’est de les reprendre à chaque fois qu’un élève dit « je suis bête ». Je leur interdis de dire cela et je leur demande systématiquement de se corriger en disant « je n’ai pas compris, je me suis trompé(e), j’ai besoin d’aide … » puisque personne n’est bête. Je leur dis de prendre l’habitude avec moi cette année car ce mauvais réflexe est déjà ancré en eux depuis longtemps, qu’il est difficile à défaire et surtout je ne pense pas qu’au collège les professeurs prendront le temps de les reprendre à ce sujet. Je les entraîne donc chaque jour à être bienveillant envers eux-mêmes et envers les autres.
Je n’étais pas sensible à ce genre d’attitude pour mes élèves avant de faire de la sophrologie. C’est drôle de les voir aujourd’hui s’exclamer quand je dis moi-même « mince je suis bête ! » et de leur montrer que pour les adultes aussi c’est difficile de perdre cette mauvaise habitude. Mais face à leur réaction, je me dis que ce nouveau regard commence à prendre racine en eux et c’est tout aussi important que de connaître ses tables, si ce n’est même plus.
Entendre de la part de parents que j’ai réconcilié leur enfant avec l’école et qu’il n’a plus la boule au ventre pour entrer en classe, avoir des élèves surpris de la rapidité avec laquelle passe une journée : voilà de magnifiques récompenses.
J’ai voulu devenir sophrologue car je souffrais en étant enseignante.
Aujourd’hui, en étant plus à l’écoute, bienveillante envers mes capacités physiques du moment, en m’adaptant davantage aux situations dans la classe, je suis plus heureuse dans mon métier. Il est vrai que je passe un peu moins de temps dans certaines matières, mais je suis plus congruente et me sens plus que jamais à ma place de professeur des écoles en CM2, intersection magique pour les enfants que je prépare à vivre au mieux l’adolescence ainsi que leur être en devenir.
Il me reste encore à effectuer mon stage de 2ème année que j’effectuerai l’an prochain pour devenir sophrologue. Je ne sais pas encore dans quelle structure je vais le réaliser, mon premier projet à la préfecture de police ayant étant refusé. Je ne sais pas non plus si je deviendrai sophrologue à mon compte ou employée dans une structure.
Quand je me suis inscrite à la formation à l’ESSA, je voulais devenir sophrologue au plus vite pour quitter progressivement l’Éducation Nationale.
J’ai très mal vécu de ne pas avoir réussi à gérer ma vie personnelle tout en réalisant mon stage la deuxième année presque comme tout le monde. Et je vois que je reporte encore.
Mais ce que je vivais comme un échec il y a encore peu, je le vois aujourd’hui comme un temps d’intégration nécessaire de la méthode pour mieux la comprendre et l’incarner. Voici encore un bel exemple de processus de réduction. Même si je ne suis pas encore sophrologue et qu’il me reste encore énormément à parcourir, j’ai été heureuse de découvrir à travers la rédaction de ce mémoire que j’en incarne déjà la posture dans mon enseignement et je me sentirai plus légitime de pratiquer le stage de sophrologie l’an prochain.
Quand je me projette avec mes futurs sophronisants, je sais que je serai vigilante sur certains points. Déjà je respecterai leur chemin et le temps dont ils ont besoin sans induire de réponse qu’ils ne sont pas prêts à entendre, qu’ils n’ont pas demandé, et qui doivent avant tout émerger d’eux-mêmes. J’ai compris il y a seulement un an au décès de mon grand-père que la posture de sauveuse que je croyais devoir avoir auprès de ma mère n’était pas lui rendre service et surtout pas respectueuse de sa volonté.
J’étais très inquiète de la savoir seule, chez elle, sans suivi psychologique face à la perte de son père qui vivait depuis 15 ans à son domicile. J’ai énormément insisté pour qu’elle se fasse aider jusqu’à ce qu’explose une dispute extrêmement violente entre nous. Aujourd’hui elle va bien et sans aide extérieure. J’ai sous-estimé ses capacités alors qu’on nous a bien dit en formation de croire au potentiel d’évolution de chacun. Mais c’est plus difficile avec ses proches.
Lorsque je proposerai à mes clients des exercices à effectuer chez eux, comme la cohérence cardiaque, je penserai bien à leur préciser, même si je sais que la fréquence et la régularité rendent les techniques plus efficaces, qu’ils ne se découragent pas et se félicitent chaque fois qu’ils pratiqueront, ne serait-ce qu’une seule fois par semaine. J’ai bien vu les effets incroyables de la méthode sur moi alors que je ne l’ai pas exploitée au maximum. Sans m’entraîner aussi régulièrement qu’il le faudrait, l’évolution et l’intégration se font, à mon rythme. Tout dépendra donc de la motivation et des capacités du moment présent du sophronisant qu’il faudra respecter.
Enfin, tout comme dans ma classe, j’élaborerai un protocole de suivi de mes sophronisants, mais je n’hésiterai pas à l’adapter et à improviser en fonction des besoins le jour de la séance. Ce n’est pas parce que je prévoirai une technique pour travailler ce que le client souhaite, que je devrai m’y conformer à tout prix. Si un événement est survenu dans sa vie entre les deux séances et que ses demandes évoluent, je devrai rester à son écoute, m’adapter et lui proposer ce qui lui correspondra là, ici et maintenant.
Conclusion
J’ai hésité à changer le sujet de mon mémoire. J’ai pensé parler de l’adaptabilité et du nouveau regard nourri par le principe de l’action positive comme clés d’appréciation de l’existence au lieu de l’ancrage dans l’instant présent.
Mais j’ai trouvé plus congruent de garder ma première idée, de montrer tout au long du mémoire l’évolution de ma pensée et ainsi l’émergence de ma région phronique, notion que j’ai objectivement contractée en écrivant ce mémoire.
La progressivité de la méthode de la sophrologie phénoménologique et mes nouveaux acquis ont fait évoluer ma vision de l’existence. Je ne la subis plus, je ne lutte plus contre et j’essaie de composer avec tout ce qui se présente. Je reconnais vouloir encore à tout prix très vite retourner à un état de bien-être et d’oublier le temps d’accueil et d’évacuation nécessaire quand des émotions douloureuses surviennent, alors que je sais que plus je les évite, plus elles mettent de temps à partir.
J’appréhende d’être triste sans doute car je l’ai longtemps été et j’ai peur inconsciemment qu’on m’identifie à ce sentiment. Carl Rogers précise pourtant bien que nous devons différencier le patient de sa problématique. Le patient n’est pas sa problématique. Je trouve qu’il est plus facile de l’appliquer à autrui que sur soi, surtout quand des gens qui n’ont pas fait cette formation nous renvoient cette image négative avec cette phrase terrible « Oh tu as toujours quelque chose qui ne va pas ».
Dans ce cas, à nous de garder à l’esprit le chemin parcouru, que nous ne sommes pas notre passé, et nous rappeler que nous avons le droit d’être triste, que c’est libérateur et que nous ne demandons pas d’être sauvé, juste accueilli. J’ai compris l’impermanence des moments joyeux, qu’il peut y avoir des hauts et des bas. Que ce n’est pas une punition d’être incarnée. Tout dépend de notre façon de considérer les événements. Un même moment peut être vécu comme un drame ou une opportunité selon la personne ou la vision qu’elle en a. C’est notre capacité à nous adapter, principe d’adaptabilité, et à porter un regard bienveillant et constructif, principe d’action positive, sur ce qui nous arrive ainsi que sur nos émotions qui nous rendent heureux.
Il n’y a point de chemin vers le bonheur. Le bonheur est le chemin.
Lao Tseu
La sophrologie phénoménologique est donc loin d’être seulement un ensemble de techniques et d’outils, c’est avant tout une méthode, une philosophie qui, comme l’a si bien dit mon Papy « apprend à mieux nager dans la vie ».
Épilogue
Au moment où j’écris ces lignes, mon mémoire est terminé, mais je ne résiste pas au plaisir de vous faire partager ce que j’ai vécu ce vendredi 30 avril 2021 dans ma classe.
Je devais annoncer à mes élèves que le séjour en Vendée qui nous avait été accordé du 17 au 27 mai venait d’être annulé à cause du contexte sanitaire. J’ai donc réfléchi aux meilleures conditions pour le leur dire et leur faire expérimenter une leçon de vie. J’ai ainsi construit une sorte de séance spéciale dont le sujet était : comment accueillir l’annonce d’une mauvaise nouvelle ?
J’avais écris Education civique au tableau, car la phénoménologie n’est pas encore enseignée (officiellement) à l’école. La séance s’est déroulée en plusieurs étapes. Dans un premier temps, je les ai invités à verbaliser à l’oral leurs émotions et leurs ressentis après cette information. Ensuite, je leur ai demandé s’ils auraient préféré ne pas être au courant de cette demande de séjour afin d’éviter la déception de l’annulation. Une élève m’a répondu instantanément qu’elle préférait avoir été mise au courant car elle était heureuse de savoir tout ce que j’avais fait pour eux pour qu’ils puissent avoir une chance de partir. Je l’ai bien sûr remerciée de sa réponse qui me touchait beaucoup.
J’ai relancé les autres élèves pour qu’ils partagent leur point de vue sur cette question. Certains ont alors expliqué qu’ils s’étaient préparés à la possibilité qu’on ne partirait pas pour être moins déçus. D’autres, au contraire, ont préféré y croire de toute leur force pour que ce voyage se réalise.
Puis spontanément les interventions des élèves ont glissé vers la troisième étape de la séance qui était de trouver tous les aspects positifs de ce projet et de ce qu’ils vivaient là, ici et maintenant. Ils ont fait cela naturellement sans que je leur pose directement la question. Il faut dire que je les entraîne toute l’année au principe d’action positive. Mais le voir ainsi mis en application dans une situation concrète m’a aidée à réaliser le travail accompli avec eux. Toute la classe a même élaboré ensemble le projet de passer une journée à la mer pour compenser l’annulation du voyage et l’on était tous très heureux de cette idée.
Pour finir la séance, je leur ai proposé de résumer comment ils avaient fait pour accueillir la mauvaise nouvelle :
- Exprimer leurs émotions,
- Trouver du positif,
- Élaborer un nouveau projet. Et là, un élève s’est exclamé en disant : « Oh maîtresse, on a fait comme dans le livre qu’on a lu en début d’année (Verte, de Marie Desplechin) !
De l’ombre on a fait naître la lumière ! » Écrire ce mémoire m’a fait pleinement prendre conscience de ma posture de sophrologue dans ma classe et l’a renforcée.
Et comme souligne Pierre Bonnasse (3):
L’écriture renforce la conscience qui m’est donnée de la sincérité et des phénomènes qui ne cessent jamais d’apparaître comme à leur premier jour, « pour la première fois ». […] Ce que j’écris ne s’inscrit alors pas seulement sur la page ou sur l’écran de mon ordinateur, mais aussi et surtout dans mes structures internes les plus profondes, au cœur même de mes propres cellules qui, ainsi dynamisées, trouveront par la suite une expression nouvelle capable de réactiver ou de me rappeler spontanément ce que dans un moment d’inattention j’avais encore oublié.
Sources
- Page 1 : Arnaud Riou, conférence Vivre en cohérence: la transition vers le nouveau monde, 2021.
- Page 2 : Eckhart Tolle, Le pouvoir du moment présent, J’ai Lu Collection Bien Être, 2000.
- Pages 2, 3, 5, 10, 11 et 15 : Pierre Bonnasse, L’attitude phénoménologique, Éolienne, 2018.
- Page 3 : Raphaël Esrail, L’espérance d’un baiser, Robert Laffont, 2017.
- Pages 3 et 10 : Viktor E. Frankl, Découvrir un sens à sa vie avec la logothérapie, J’ai Lu Collection Bien Être, 2012
- Pages 4 et 10 : Sous la direction de Richard Esposito, Sophrologie : Dictionnaire des concepts, techniques et champs d’application, 2ème édition, Elsevier Masson, 2020.
- Page 6 : Pierre Lapoujade, conférence Réveillez votre planète intérieure !, 2021.
Remerciements
Je tiens à remercier Manon Soupiau pour son aide dans l’élaboration de la problématique ainsi que dans le bornage du sujet, Patricia Gotteland pour ses idées éclairantes qui ont nourri mon sujet et permis de faire un lien avec mon métier d’enseignante, tout mon groupe qui m’a soutenue et encouragée à continuer cette formation, et bien sûr l’ESSA pour sa grande compréhension et sa souplesse d’adaptabilité face aux difficultés personnelles rencontrées.
Auteur : Aurore Leyme