« Lutter contre les dérives en Santé – Éthique, pédagogie et démocratie sanitaire ». Tel fut le thème abordé en février dernier par l’Agence des Médecine Complémentaires et Alternatives (A-MCA) dans le cadre d’un colloque organisé en visioconférence.

Manon Soupault formatrice ESSAEn tant que sophrologue et responsable pédagogique de l’ESSA, il était important pour moi d’être présente à ce rendez-vous. La sophrologie compte parmi les MCA.

Elle figure d’ailleurs dans l’ouvrage co-écrit par les fondateurs de l’A-MCA auquel Anne Almqvist a contribué.

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Les dérives dont il est question n’épargnent aucune « médecines douces », sophrologie comprise.

C’est la raison pour laquelle l’ESSA et le pôle santé du RPNS soutiennent activement l’agence des Médecines complémentaires et alternatives.

Les dérives en santé concernent-elles toutes les médecines alternatives ?

Assurément ! Toutes les Médecines Complémentaires et Alternatives ont les leurs…

Exploiteurs mal intentionnés de la souffrance d’autrui. Alchimistes du remède miracle. Apprentis thérapeutes qui se nourrissent de la crédulité des plus fragiles.

C’est en particulier pour lutter contre les agissements de ces fripouilles et plus généralement prévenir ces déviances et agir contre leur développement qu’a été organisé ce Colloque, sous le Haut Patronage de Madame Laurence Vanceunebrock, députée de la 2e circonscription de l’Allier.

Nous avons tous eu un souci de santé un jour ou l’autre et nous avons été tentés par d’autres solutions et ce malgré les progrès de la médecine actuelle. Aujourd’hui on estime que 40% des français ont recours au MCA (dont 60% d’entre eux pour le cancer) et l’agence a répertorié plus de 400 formes de MCA. Certaines ne posent pas de soucis car elles coïncident avec la méthode scientifique, par contre d’autres sont jugées comme dangereuses.
Laurence Vanceunebrock

Les dérives en santé ont de nombreuses ramifications.

Elles peuvent être sectaires, attentatoires à la liberté et aux droits individuels, relever de l’exercice illégal de la médecine…

La sophrologie peut elle aussi présenter des risques de dérives.

pratique éthique de la sophrologieÀ L’ESSA, nous insistons tout particulièrement sur la posture professionnelle de nos stagiaires.

Autrement dit, au-delà du savoir-faire et de la technicité de la méthode, qui ne comptent que pour une partie seulement de la séance sophrologique, c’est leur savoir-être en relation d’aide qui nous importe.

En ma qualité de responsable pédagogique au sein de l’école, j’ai donc parfaitement conscience de l’importante responsabilité que nous, comme toutes les écoles de formation en Sophrologie, avons s’agissant de la prévention des dérives en santé.

C’est une responsabilité d’autant plus grande que j’anime le module de 2eme année sur la supervision professionnelle.

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Relation d’aide : la supervision du sophrologue en 5 questions
Sophrologie : la supervision du groupe condition de la réalité objective ?

La sophrologie peut et doit agir contre les risques de dérives en santé.

À l’instar de l’hypnothérapeute, le sophrologue doit se prémunir contre les risques de dérives en santé dans la mesure où il accompagne le sophronisant dans un état de suggestibilité accrue.

Parmi ces risques, citons :

  • les atteintes aux droits des personnes (liberté individuelle, libre arbitre, responsabilité…),
  • les risques d’emprise et d’influence sur les décisions d’autrui,
  • l’ignorance de la méthode et de ce qu’elle peut dévoiler, des lacunes sur les thématiques et protocoles spécifiques,
  • l’absence de supervision professionnelle et de formation continue,
  • le choix d’appliquer un protocole à tout prix, au détriment de la réalité du moment de la personne est aussi une dérive, car cela revient à nier sa réalité existentielle.

sophrologie et dérives sectaires

Dérives en santé : quel doit être le rôle des formations à la Sophrologie ?

Il peut être résumé ainsi : un devoir de sensibilisation et d’information.

La Société Française de Sophrologie (dont l’ESSA est membre) a ainsi conçu un code de déontologie disponible sur leur site. Pratique sophrologique, compétence et secret professionnels, obligations du praticien… y sont recensés.

Un code éthique et déontologique a par ailleurs été conçu par l’ESSA afin de permettre au futur sophrologue de proposer un accompagnement dans le respect de la méthodologie sophrologique.

Sur le même sujet : Déontologie en sophrologie : quelles obligations pour le sophrologue ?

Ce code figure dans les supports de formation de tous nos stagiaires.

Chaque sophrologue diplômé de l’ESSA s’engage formellement à le respecter pleinement, sous peine de sanctions.

Extraits du code de Déontologie support de formation des stagiaires ESSA

Ethique

Le sophrologue s’engage à respecter non seulement les cadres et principes généraux de la méthode, mais il respecte aussi les valeurs défendues par la Sophrologie : responsabilité, tolérance, respect de la liberté individuelle et de la dignité humaine (tant envers ses clients qu’envers ses confrères). Il exerce son activité sans aucune discrimination d’âge et de sexe, de race, de religion ou d’appartenance politique.

Responsabilité – Compétence

Le sophrologue s’engage à ne proposer que des techniques sophrologiques qu’il maîtrise. Le préalable à tout exercice de la profession de sophrologue est un entraînement régulier et une très bonne intégration de la théorie et méthodologie sophrologique.

Tout sophrologue se doit de bien connaître ses propres limites professionnelles.
Il s’engage à ne pas intervenir sur des sujets qui ne relèvent pas de ses compétences professionnelles.
Il s’engage à ne jamais donner de conseils sur un traitement médical et s’interdit tout diagnostic (sauf s’il est médecin).
Il se doit d’orienter son sophronisant vers un autre praticien si cela s’avère nécessaire (psychothérapeute, psychologue, médecin ou psychiatre).

Conscience professionnelle

Le sophrologue est garant de la qualité du travail sophrologique qu’il propose. Il se souvient en permanence qu’il travaille dans un niveau de conscience et un contexte où la réceptivité est accrue. À tout moment, le travail qu’il propose doit être source d’équilibre.
A ce titre il s’engage à être supervisé par un sophrologue superviseur.

Ajoutons que les formateurs jouent un rôle pédagogique très important dans leur exemplarité éthique et les précautions déontologiques et professionnelles qu’ils transmettent aux stagiaires.

Enfin, la prévention de ces dérives doit passer par l’engagement de chaque praticien d’entamer une démarche de supervision professionnelle.

Bien que non obligatoire celle-ci est vivement conseillée.

Vigilance sur la Supervision Sauvage

Attention aux situations cliniques livrées à la lecture de tous sur les groupes de réseaux sociaux qui sont au final hors cadre légal. Des praticiens déposent les histoires de leurs clients en dépit de la confidentialité, en demandant aux confrères des conseils dans une sorte de supervision « sauvage ».

Quelle est la légitimité de celui ou celle qui donne les conseils ? De quelle façon ces fameux conseils vont-ils être appliqués ? Il s’agit là tout au mieux d’analyse de pratiques entre pairs…

relation d'aide sophrologieLa posture phénoménologique et la relation d’aide pour prévenir au mieux les risques de dérives en santé

Non jugement, non interprétation, accueil de la personne dans la réalité de l’instant quelles que soient ses croyances et ses valeurs, nouveau regard, effacement du modèle appris derrière la réalité du client…

S’ils sont appliqués, ces principes phénoménologiques associés aux principes de la relation d’aide rogérienne sont vraisemblablement la meilleure façon de prévenir les risques de dérives en santé.

Parce qu’il tient toujours compte du vécu de la personne, le sophrologue pourra tendre vers le développement des valeurs et des capacités intrinsèques au sein d’une relation dont la qualité fera évoluer la personne (pas le thérapeute) à travers une posture inconditionnellement humaniste.

Achevons cette longue liste de recommandations avec l’éthique personnelle du praticien qui garantit l’autonomie et l’élargissement de l’être et prévient la dérive sectaire dont l’une des caractéristiques est bel et bien la tendance à l’enfermement.

Synthèse du colloque sur la lutte contre les dérives en Santé

Je finirai cet article en évoquant trois interventions qui ont particulièrement retenu mon attention à propos de l’état des lieux des dérives en Médecines non conventionnelles, car elles s’appliquent aussi à notre métier de Sophrologue.

ligue contre le cancerIntervention de Catherine Simonin-Bénazet, vice-présidente de la Ligue contre le cancer : Stratégie de la ligue contre le Cancer pour le recrutement des praticiens qui interviennent auprès des patients.

La ligue contre le Cancer est particulièrement vigilante quant au recrutement des praticiens en MCA qui interviennent dans leurs structures. Il se fait uniquement sur recommandations départementales.

La présidente de la ligue a largement insisté sur les écoles qui dispensent des formations bien trop rapides durant lesquelles les compétences en relation d’aide et la déontologie de la posture professionnelle font défaut.

Elle a également abordé le sujet des dérives de certains praticiens qui s’improvisent dans l’accompagnement des personnes atteintes du cancer. Le manque de savoir-faire et de savoir-être de ses spécialistes auto-proclamés pouvant être extrêmement dommageables pour des personnes déjà fragilisées par la maladie, à cela se rajoutant des risques d’emprise plus accrue.

spécialiste hypnoseIntervention du Professeur Antoine Bioy à propos de l’Hypnose : dérives délétères vs soins salutaires

Le professeur Bioy a identifié 4 zones de danger pour les dérives en santé :

  1. Confondre la personne avec un médicament ou un symptôme (qui déshumanise par une manipulation de langage),
  2. Désir de performance du praticien : avec des risques d’effractions des sentiments ou d’un passé douloureux,
  3. Risque d’emprise, d’influence : possibilité d’éventuelle malveillance du praticien,
  4. Porosité émotionnelle, inconscience.

Selon lui, le diagnostic initial doit être fait par les personnes compétentes. Dans le cas contraire, il n’y a pas d’accompagnement possible, car même des signes généraux peuvent impliquer de la dangerosité.

Critère de ces risques de dérives :

  • Défaut de formation : 200h a minima et 2 ans de pratique en hypnose devraient être requis pour exercer. Aujourd’hui on trouve des formations financées en 4 jours. Par ailleurs, des connaissances de bases psycho-pathologiques sont indispensables car le praticien doit être en mesure de connaitre les critères qui lui permettent de soupçonner certains signes de dangerosité psychique.
  • Défaut de supervision professionnelle : les praticiens n’y sont pas assez sensibilisés et n’y ont pas suffisamment recours.

Pédagogie citoyenne : sensibiliser au repérage des risques de dérives en santé. L’exemple d’une expérience patient avec Fanny Bernardon

Atteinte d’un lymphome, cette jeune femme décrit son parcours en MCA pour mettre à l’époque « toutes les chances de son côté ».

Je me disais : au pire cela ne te fait rien, au mieux il se passe quelque chose.

Elle évoque sa quête de sens et les risques d’une croyance « où le problème serait réglé parce qu’on a « décodé » la symbolique de sa maladie ».

Elle évoque aussi le désarroi émotionnel qui peut être celui de la personne malade et les conséquences de la culpabilité de ne pas réussir à guérir alors qu’on a compris sa maladie.

A l’époque elle a heureusement été entourée par un tissu social bienveillant et son bon sens l’a protégée des MCA considérées comme déviantes.

Est-ce le cas de tous ?

Nombre d’entre nous ont déjà consulté un praticien en MCA à titre individuel et selon l’A-MCA une bonne partie des thérapeutes sont hors cadre sans le savoir.

Car les plaintes des victimes et les signalements sont très rares. Dans le meilleur des cas, la personne interrompt la relation et fait une mauvaise publicité au praticien.

Et celui-ci continuera à agir.

Il est temps que cela change.

Auteur : Manon SoupaultResponsable pédagogique à l’ESSA